"Les autres forment l’homme, je le recite : et en represente un particulier, bien mal formé : et lequel si j’avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu’il n’est : mes-huy c’est fait. Or les traits de ma peinture, ne se fourvoyent point, quoy qu’ils se changent et diversifient. Le monde n’est qu’une branloire perenne : Toutes choses y branlent sans cesse, la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte : et du branle public, et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object : il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy. Je ne peinds pas l’estre, je peinds le passage : non un passage d’aage en autre, ou comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accommoder mon histoire à l’heure. Je pourray tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention : C’est un contrerolle de divers et muables accidens, et d’imaginations irresoluës, et quand il y eschet, contraires : soit que je sois autre moy-mesme, soit que je saisisse les subjects, par autres circonstances, et considerations. Tant y a que je me contredis bien à l’advanture, mais la verité, comme disoit Demades, je ne la contredy point. Si mon ame pouvoit prendre pied, je ne m’essaierois pas, je me resoudrois : elle est tousjours en apprentissage, et en espreuve. (III, 2)"
"Il est incertain où la mort nous attende, attendons la par tout. La premeditation de la mort, est premeditation de la liberté. Qui a apris à mourir, il a desapris à servir. Il n’y a rien de mal en la vie, pour celuy qui a bien comprins, que la privation de la vie n’est pas mal. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contraincte. (I, 20)"
"Et l’opinion qui desdaigne notre vie, elle est ridicule : Car en fin c’est nostre estre, c’est nostre tout. Les choses qui ont un estre plus noble et plus riche, peuvent accuser le nostre : mais c’est contre nature, que nous nous mesprisons et mettons nous mesmes à nonchaloir ; c’est une maladie particuliere, et qui ne se voit en aucune autre creature, de se hayr et desdaigner. C’est de pareille vanité, que nous desirons estre autre chose, que ce que nous sommes. Le fruict d’un tel desir ne nous touche pas, d’autant qu’il se contredit et s’empesche en soy : celuy qui desire d’estre faict d’un homme ange, il ne faict rien pour luy : Il n’en vaudroit de rien mieux, car n’estant plus, qui se resjouyra et ressentira de cet amendement pour luy ? (II, 3)"
"Le peuple se trompe : on va bien plus facilement par les bouts, où l’extremité sert de borne, d’arrest et de guide, que par la voye du milieu large et ouverte, et selon l’art, que selon nature ; mais bien moins noblement aussi, et moins recommendablement. La grandeur de l’ame n’est pas tant, tirer à mont, et tirer avant, comme sçavoir se ranger et circonscrire. Elle tient pour grand, tout ce qui est assez. Et montre sa hauteur, à aimer mieux les choses moyennes, que les eminentes. Il n’est rien si beau et legitime, que de faire bien l’homme et deuëment. Ny science si arduë que de bien sçavoir vivre cette vie. Et de nos maladies la plus sauvage, c’est mespriser nostre estre. (III, 13)"
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