"Les termes usuels étaient classés alphabétiquement, comme dans un dictionnaire, et, à la place de la définition, il y avait la photo d'une jolie femme en pull rouge qui faisait le signe correspondant au mot. Je suppose que c'est à cause d'elle que j'ai associé le langage des signes à mes Mignonnes (1). Par exemple, à côté du mot ami, une photo montrait une Mignonne aux formes avantageuses moulées dans un pull, qui levait l'index des mains gauche et droite. Deux doigts amis près l'un de l'autre. Cela m'a redonné de l'espoir. Ce qui était idiot. L'inventeur de ce langage silencieux ne l'avait pensé que pour des créatures pourvues de doigts. N'étant équipé que de pattes et de griffes, il m'était impossible de même bafouiller les phrases les plus élémentaires. En un mot, je bégayais des pattes. Debout devant le miroir, ce qui était déjà une torture en soi, en équilibre devant le lavabo, je m'efforçais de dire : "Qu'aimez-vous lire ?" J'ai essayé d'imaginer que mon corps représentait la paume et mes pattes les doigts. En plein milieu de ma phrase, j'ai changé de stratégie et me suis servi de mes pattes avant comme de bras et de mes pattes arrière comme de pouces. Je me frappais la poitrine, croisais les jambes, me recroquevillais, puis m'agitais soudain dans tous les sens comme un homme dont les vêtements auraient pris feu. Rien n'y faisait...On imagine le résultat lorsque Firmin fera quelques essais pour entrer en relation sur le mode "au revoir zip" !!! Un auteur capable d'écrire ça justifie la peine que vous avez eue en apprenant à lire ! Sans compter vos essais infructueux pour parler une langue étrangère !
Prenant le temps à chaque page, j'ai interrogé la Mignonne. Je cherchais une phrase simple et compréhensible qui soit adaptée à mes limites physiologiques. En peu de temps, j'avais appris à dire "au revoir zip". Ce n'était pas du Shakespeare, mais impossible de faire mieux. Je formulais cette phrase en me tenant sur mes pattes arrière : j'agitais une patte avant - comme pour dire au revoir - puis, avec la même patte, j'effectuais un mouvement de bas en haut devant ma poitrine - comme pour remonter une fermeture éclair imaginaire. Je me suis entraîné devant la glace, au revoir zip, au revoir zip, au revoir zip, jusqu'à maîtriser parfaitement le geste..."
Merci M. Savage pour ce moment de grâce...
(1) Ses "Mignonnes" sont les danseuses d'un Cabaret qu'il fréquente assidument.
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